De la solidarité à l'opposabilité
Début septembre, la photo d’Aylan Kurdi, ce petit garçon syrien mort sur les côtes turques, a ému le monde entier. L’enfant devint l’emblème du sort que vivent des centaines de milliers d’êtres humains, des milliers de vies perdues en Méditerranée ces dernières années, et cela beaucoup plus que ne le firent ces derniers mois les images des bateaux naufragés. Ce fut un électrochoc de tristesse et de compassion. Un basculement de l’opinion publique. Nous, les Européens, ne voulions pas être responsables de la mort d’enfants.
En Allemagne, au Luxembourg, de nombreux
citoyens se sont engagés pour offrir un accueil chaleureux aux réfugiés, des
vêtements ou simplement du temps. La solidarité s’est organisée autour des
réseaux sociaux et ne fut plus réalisée uniquement par les milieux associatifs.
Même les discours politiques furent empreints de bons sentiments. Nous nous
devions d’accueillir ces réfugiés qui fuyaient les persécutions. Pendant
quelques jours, nous avons fébrilement ressenti comme un basculement de la
pensée. L’Europe ne devait plus se protéger mais ouvrir ses frontières. Si
l’élan de solidarité civique ne faiblit pas, les discours des dirigeants
européens ont pour leur part très vite perdu de leur humanisme. La parole
reprit son principe d’opposabilité chez de nombreux politiciens, au Luxembourg
comme ailleurs : on distingue le bon réfugié – celui de Syrie, en
l’occurrence, passant sous silence les nombreux réfugiés venus d’autres pays en
proie aux conflits – au mauvais, celui qui fuit la misère, qui devient migrant.
On oppose le chrétien au musulman, le pauvre de là-bas à celui d’ici. Le
discours d’extrême-droite devient donc normatif, bien qu’atténué : non,
l’Europe n’a pas perdu ses valeurs, oui, l’Europe est une terre d’accueil,
d’asile et de solidarité… juste qu’elle ne l’est pas pour tout le monde.
Lors du Conseil Justice et affaires
étrangères extraordinaire du 14 septembre, les antagonismes entre les 28, déjà
palpables les jours précédents, reprirent le dessus. L’Union européenne a
approuvé un renforcement des opérations navales en Méditerranée par le recours
à la force militaire contre les passeurs qui opèrent à partir de la Lybie, mais
n’a pu trouver un accord quant à l’accueil et la répartition par quotas dans
les États membres d’ici deux ans de 120 000 réfugiés déjà présents sur les
territoires grec, italien et hongrois. Une idée à laquelle s’opposent fermement
plusieurs pays de l’Est, qui font preuve par là d’une bien courte mémoire.
Quelques heures auparavant, l’Allemagne avait
rétablit le contrôle à ses frontières, suivie très prestement par la Slovaquie,
l’Autriche et la République Tchèque. La Hongrie a terminé la construction de
son mur anti-immigré et a rendu sa frontière avec la Serbie infranchissable.
Reste à nous, citoyens de l’Union, de ne pas
faiblir. De résister aux discours de peur et de haine qui ont repris avec
tellement de vigueur.
CLAE
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