« Une femme sur quatre, au moins une fois dans sa vie, a subi la violence d’un partenaire »
L’asbl Femmes en détresse a été
créée en 1979 par un groupe de travail du Mouvement pour la libération de la
femme. Elle avait pour but la création, la gestion et le développement d’une
maison pour femmes en détresse et voulait leur offrir une protection efficace
contre la violence masculine. Le premier refuge a été créé en 1980 et
l’association s’est depuis beaucoup développée, employant aujourd’hui 90
personnes dans 13 services. Joëlle Schranck, sa directrice nous explique les
différentes formes que peut prendre la violence domestique, ses causes, ainsi
que les droits des victimes.
On parlait déjà de la violence domestique il y a près de 40 ans ?
Oui, nous avons créé le refuge
après la sortie d’un livre écrit par Erin Pizzey, Crie moins fort, les voisins
vont t’entendre, qui traitait de la violence domestique. Nous avons constaté
qu’au Luxembourg, nous étions aussi confrontés à ce problème de violence envers
les femmes.
Qu’entend-on par violence domestique ?
Il existe une définition
officielle de la violence domestique, mais pour résumer, on parle de violence
domestique lorsqu’on emploie de la violence psychologique, verbale, économique,
physique envers une autre personne au sein d’un foyer. C’est en fait un abus de
pouvoir.
On pense souvent aux femmes battues lorsque l’on évoque la violence au
sein de la famille, ce n’est pas
forcément le cas ?
Non, la violence domestique
s’installe très subtilement. Souvent les victimes ne se considèrent pas comme
telles dans un premier temps. Cela commence par la violence psychologique, la
personne violente dénigre l’autre : « tu ne connais rien », « tu es une
mauvaise mère », « tu es grosse »,… jusque la perte de confiance en soi-même.
S’ensuit la violence verbale, avec des mots grossiers, puis vient la violence
physique, celle qu’on peut le mieux constater puisqu’elle laisse des traces. Il
y a également la violence sexuelle. Plus rarement, la violence conduit à
l’homicide et/ou au suicide. Si vous regardez les statistiques, une femme sur
quatre, au moins une fois dans sa vie, a subi la violence d’un partenaire.
Quelles sont les causes de cette violence ?
Je ne pense pas qu’il y ait des
causes spécifiques à la violence, je pense que c’est un choix. Un homme décide
d’employer de la violence ou non envers sa partenaire. Beaucoup d’hommes
violents ont un problème de jalousie excessive. Vous avez des hommes qui n’ont
jamais subi de violence lorsqu’ils étaient enfant, d’autres l’ont eux-mêmes
vécue. Certains vont reproduire le comportement violent de leur père, d’autres
s’y refuseront toujours. Les profils des auteurs sont très divers.
Arrive-t-on à détecter cette violence ? Souvent l’entourage dit qu’il
n’a rien vu…
Moi même en tant que
professionnelle, cela m’est arrivé de ne pas la détecter, parce qu’elle est
très cachée. Cela dépend de la relation avec les concernés. Si vous constatez
que l’une de vos proches s’isole, qu’elle ne vient plus aux réunions
familiales, qu’elle trouve toujours des excuses pour ne pas sortir avec vous,
c’est un signe. De même si elle se plaint que son mari est très jaloux. Les
auteurs de violence isolent très souvent la victime. Dans un premier temps, il
va vous dire qu’il n’a pas envie d’aller voir votre famille et que vous pouvez
y aller seule. Ensuite, il va vous disputer si vous y allez seule. Il y a isolement
par rapport à la famille, les amis, les connaissances.
La violence est donc très lente à s’installer...
Oui, c’est un lent processus.
L’auteur prépare d’abord le terrain – en isolant sa victime – pour ne pas
qu’elle puisse discuter de sa situation. Souvent, ces femmes ne travaillent
pas, ou rentrent directement à la maison après le travail, n’ont pas beaucoup
de contact avec leurs collègues. La violence verbale et physique s’installe
ensuite, lentement.
Est-ce que la violence domestique concerne toute la société ?
Oui, elle peut toucher aussi bien
des directrices de banques que des professeurs, que des femmes aux foyers… Elle
touche toute la société, indépendamment de l’âge, du niveau d’étude, de la
religion… Dans trois ou quatre pourcents des cas, c’est la femme qui est
l’auteure de violence envers son partenaire.
La violence est-elle un phénomène en augmentation ou bien est-ce
qu’elle est moins taboue aujourd’hui ?
J’entends souvent que la violence
est en augmentation, mais je ne pense pas. Je crois qu’elle est devenue plus
visible, de par la loi de 2003 sur la violence domestique, de par les campagnes
médiatiques… Beaucoup de victimes avaient honte d’en parler, parce qu’elles se
croyaient coupables de ces violences. C’est souvent ce que l’auteur leur fait
croire. Je crois qu’avec les différentes campagnes, la honte d’en parler et le
sentiment de culpabilité reculent, même si cela reste encore tabou.
A partir de quand peut-on parler
de violence domestique ? Une dispute de couple qui dégénère est-elle considérée
comme telle ?
On peut se disputer dans le
respect et pas dans le dénigrement. A ce moment c’est une querelle. La violence
domestique n’est pas une perte de contrôle, elle est répétitive, inégale, c’est
un abus de pouvoir. On parle de cycle de la violence. Des tensions
s’accumulent, ensuite vient l’acte violent, suit une phase de
déresponsabilisation de l’auteur et enfin une phase de « lune de miel »,
pendant laquelle l’auteur s’excuse, fait des cadeaux, promet de ne plus jamais
recommencer. Souvent, les victimes pensent que la violence est un élément
isolé. Elles se rappellent de l’acte de violence, mais ne l’incluent pas dans
un cycle.
Est-ce qu’une victime peut elle même casser ce cycle de violence, ou
faut-il nécessairement une intervention extérieure ?
Les auteurs ne changent pas d’eux
même. Souvent, les victimes quittent leur partenaire après la scène de
violence, ou bien dans la phase pendant laquelle les tensions montent, jamais
dans la phase de déresponsabilisation ou de lune de miel. Elles partent
généralement pour sauver leur vie ou celles de leurs enfants, mais pas avec
l’intention de quitter définitivement leur conjoint. Dans le cadre de la loi
sur la violence domestique, bien souvent, la victime appelle la police pour que
la violence s’arrête. Si la police constate la violence, le procureur éloigne
l’auteur du domicile. L’Etat prend cette responsabilité et c’est déjà un
message très important.
Quels sont les droits des victimes ?
Je crois que le Luxembourg est
très progressiste en ce domaine. Il s’est doté d’une loi en 2003, qui a été
modifiée en 2013, et dans ce cadre, l’auteur est éloigné du domicile conjugal
pour 14 jours et la victime peut demander un prolongement de cette mesure.
L’auteur n’a pas le droit de la contacter par quelque moyen que ce soit. Ce
temps doit permettre à la victime de savoir s’il elle veut entamer une
procédure de divorce ou reprendre la vie conjugale. Dans le cadre d’une mesure
d’éloignement, le service d’assistance aux victimes de violence domestique
prend contact avec cette dernière et l’encadre, la protège le cas échéant. Les hommes violents quant à eux, sont
pris en charge par le service Riicht Eraus de la Croix-Rouge pour entamer un
travail psychologique.
Propos recueillis par Kristel
Pairoux
Femmes en détresse asbl
18-20, rue Glesener L-1630 Luxembourg
www.fed.lu
organisation@fed.lu
T. +352 40 73 35
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