Local revival (1)
© Clae-Paulo Lobo, Gasperich, fete de la musique, 2014 |
Lorsqu’un discours devient dominant, il
est parfois difficile de pouvoir le déconstruire ; celui de l’intégration
locale est ainsi devenu en quelques années un leitmotiv prononcé envers et
contre tout, au point qu’il peut paraître un peu téméraire, sinon déraisonné,
de mettre en doute sa pertinence.
La loi sur l’accueil
et l’intégration entrée en vigueur en 2008 a certainement joué un rôle
important dans ce nouveau paradigme de l’intégration, mais elle ne peut
expliquer à elle seule son succès. Peut-on peut-être émettre l’hypothèse qu’il
y a inconsciemment derrière cette tendance l’image rassurante du village, qui
constituait il y a encore cinquante ans, le principal territoire de
socialisation ?
Il semble en tout cas et pour notre
part périlleux à travers cette vision de vouloir faire table rase d’un passé
que l’on pourrait qualifier au sens noble du terme de politique. Les personnes
issues de l’immigration ont commencé à la fin des années 70 à se constituer en
association pour prendre part à l’espace public dans lequel elles étaient
encore invisibles et revendiquer une certaine idée de l’égalité. On leur
demande majoritairement aujourd’hui d’acter dans un renouveau local, alors que
les finalités qui ont été la raison d’être de leurs mouvements associatifs
semblent évincées sous le poids de la sacro-sainte responsabilité individuelle.
Il ne s’agit bien sûr pas ici de
s’opposer à une inscription au niveau local, ni même à une pensée libérale,
mais de mettre en doute les solutions préfabriquées inscrites dans un « local
revival » qui pourraient s’avérer infructueuses et créatrices de ressentiments
de part et d’autre de la société. Nous avons ainsi symptomatiquement au cours
de ces dernières années abandonné toute vision globale des questions liées à
l’immigration pour se contenter, de manière politiquement neutre et intellectuellement
légère, d’échanges de bonnes pratiques.
Avant toute chose, il conviendrait
nécessairement d’interroger le sens que l’on donne à la citoyenneté que ce soit
au niveau local, (trans)national, européen ou plus globale. La grande tristesse
de notre contemporanéité consiste à toujours plus insister sur l’importance de
la participation, alors que dans le même temps la citoyenneté n’est plus
forcément considérée comme un moteur d’émancipation et une voie des possibles,
individuels et collectifs. Réenchanter
le monde ne se fera pourtant pas à coup de bâton, ni même de manière
institutionnelle. Le sens que nous pouvons encore envisager de l’action
collective, si nous pouvons encore réellement parler de collectif, sera sans
doute à sonder dans la multiplicité de la société : écouter, comprendre,
savoir interpréter les multiples signes de ce qui aujourd’hui et demain pourra
donner une direction, un horizon, un sens au fait de faire société. Rien dans
cette optique n’est à jamais définitif, tout est constamment à recomposer.
L’autre grand défi relève de
l’articulation possible entre les différentes dynamiques, formes et espaces,
difficulté que les différents discours sur l’intégration semblent avoir écarté
pour offrir une vision qui consisterait à uniquement resserrer les liens entre
les habitants d’une commune à travers une pratique linguistique et associative
commune. Il est certainement plus facile de communiquer lorsqu’un même groupe
de personnes parle une même langue, mais la problématique linguistique ne
saurait suffire à expliquer les recompositions sociales, le fait que le lieu
d’habitation, le lieu de travail, l’espace des loisirs, l’espace de citoyenneté
ne forment plus une seule et même entité. Il est toujours possible d’avancer
que le tissu associatif local garde son importance, mais cela n’empêche pas
qu’il est en train de décliner, et que l’espace du village si ce n’est les
relations entretenues autour de la scolarisation des enfants et éventuellement
les différents loisirs, ne peut plus répondre à des critères d’un système
intégré. Face à ce constat, le bon sens, si ce n’est la poésie, ne peut nous
amener qu’à entrevoir ce territoire en relations avec d’autres espaces plus
vastes et encore une fois d’essayer d’articuler, pour ne pas dire bricoler des
solutions aux multiples problématiques posées. Les personnes et les
associations issues de l’immigration plutôt que d’être pensées comme un
phénomène déstabilisateur, pourraient apparaître dans cette optique comme une
relation qui permet justement d’articuler des problématiques proprement
sociales, nous pourrions même dire populaires, avec des considérations liées à
la globalité du monde dans lequel nous vivons. Nous pourrions sans doute dire,
qu’elles sont une de nos portes d’entrée sur le monde, mais aussi le monde qui
est en nous et qu’elles représentent finalement une partie de l’insaisissable
complexité du monde dont nous avons besoin pour ne jamais nous laisser enfermer
dans nos certitudes et présupposés.
In Horizon, Luxembourg, septembre 2014
Anita Helpiquet
Anita Helpiquet
CLAE
(1) Cet article fera
l’objet d’une deuxième partie publiée dans le prochain numéro d’Horizon.
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