Lorsque les cultures tricotent...
A quelques semaines du 31e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté organisé par le CLAE, les 14/15/16 mars prochains, nous avons souhaité revenir sur sa philosophie avec Jean Philippe Ruiz, chargé des relations interculturelles.
Les cultures qui tricotent pour créer un tissu commun, un festival et
au-delà, une société. C’est une nouvelle fois le symbole retenu pour cette 31e
édition du Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté. Le Festival
est-il affaire de tricotage, de bricolage, un ouvrage que le CLAE remet chaque
printemps sur le métier ?
Jean Philippe Ruiz : Il est toujours difficile de choisir une
image, une affiche, pour résumer une manifestation aussi importante que notre
Festival qui depuis trente ans accompagne, dessine ou débat des changements
profonds de notre société. Souvent, nous essayons d’innover dans la manière de
penser le Luxembourg dans ses relations avec l’ensemble des citoyens du pays.
C’est au Festival du CLAE que les revendications sur le droit de vote des
immigrés sont d’abord apparues, que le droit du sol a été demandé pour un accès
direct des enfants à la nationalité luxembourgeoise, que le message
du métissage culturel a d’abord été affiché.
Le Festival des migrations, des
cultures et de la citoyenneté réunit depuis des années à chaque édition,
l’ensemble des forces vives du pays : monde associatif, syndicats, partis
politiques, mouvements confessionnels, médias, etc. C’est le lieu public
parfait pour se faire entendre. C’est un espace où la citoyenneté peut se
déclarer, s’expérimenter, s’organiser en direct. Le festival n’est pas un forum
du « vivre ensemble », expression qui ne veut rien dire sauf à dire ce qui
existe depuis toujours : ce slogan marque plutôt les différences et à l’inverse
discrimine, sépare. Notre manifestation est plutôt un terrain où est représenté
le faire ensemble. Tous les
participants, toutes les associations soulignent chacun à leur manière les
nombreux chemins et expériences pour faire société ensemble.
Les cultures sur l’affiche qui a
été choisie, tricotent. Elles bricolent un devenir commun. Chaque culture,
assise sur son monde, sur son univers, depuis toujours, produit un
discours et des représentations du
monde. Tous ces fils de laine forment des mailles qui s’entrecroisent pour
donner de nouvelles cultures qui à leur tour produiront d’autres idées,
d’autres paroles, d’autres possibles. Ces fils de laine qui composent la
nouvelle affiche du Festival des migrations, sont comme un ensemble de fils
d’Ariane : ils indiquent tous les chemins possibles et nécessaires pour que
nous tous, les uns et autres, nous cheminions ensemble vers un devenir commun,
pour faire cause commune dans une société mieux en partage.
En mettant l’accent sur le métissage des cultures au Luxembourg, le
Festival propose-t-il une belle utopie ?
Le métissage des cultures est là,
toujours là, depuis toujours là. Il est au cœur des cultures et il fait partie
de notre identité à tous, de notre histoire. Ce n’est donc pas une utopie mais
une manière différente de voir l’autre et son histoire, d’estimer sa culture et
celle des personnes que nous fréquentons ou qui sont nos voisins. Prendre en
considération le métissage des cultures, c’est accepter de changer sa vision de
l’histoire et de l’évolution de l’humanité et de questionner le poids des
sciences, du progrès et de l’histoire pour définir sa propre identité. Quel est
notre part d’héritage dans les dérives du nationalisme qui ont conduit aux deux
grandes guerres ? Quels sont les excès encore récents de cette idée de nation
dans plusieurs pays européens ? Notre vision des cultures contemporaines est un
précipité du colonialisme et des guerres d’indépendances qui ont suivi. Et que
penser de l’histoire de l’esclavage et de l’idée de race qui est toujours
véhiculée alors que la génétique depuis longtemps a vidé ce mot de toute valeur
scientifique ? Pour accepter la part de métis qui est en nous – métissage
culturel, métissage social – il nous faut mettre à distance tous ces héritages
qui continuent de produire des préjugés et qui déterminent encore de nombreuses
actions culturelles et sociales.
Au cœur du Festival est installé depuis plus d’une décennie le Salon du
livre et des cultures du Luxembourg.
Depuis l’année passée, un nouvel espace de rencontres se tisse autour
des arts contemporains. Que nous disent ces espaces ?
Nous avons toujours souhaité que
le Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté accompagne
l’évolu-tion et les changements qui traversent l’histoire des populations
issues de l’immigration et les associations qui les représentent. De nombreuses
associations sont vieillissantes et elles ont pour la plupart réalisé et réussi
ce pour quoi elles avaient été créées : construire un espace intermédiaire de
solidarité, de références identitaires et linguistique entre le pays d’origine
et le pays d’arrivée. Aujourd’hui installé dans ce pays, de nouvelles demandes
apparaissent parmi les personnes et les familles qui portent en héritage
l’histoire de leur pays d’origine ou la culture du pays de leurs parents.
Présenter, expliquer, promouvoir ces références culturelles familiales est une
démarche importante qui permet de donner du sens à sa présence sur ce
territoire. Les littératures, les écrivains, les peintres, les artistes qui se
présentent au Salon du livre et des cultures et au Salon des arts contemporains
— ArtsManifs — permet d’accorder
une plus grande légitimité à la culture et à la présence des personnes venues
en migration au Luxembourg. C’est une part d’humanité supplémentaire que ces
deux salons contribuent à donner à ces populations du Luxembourg.
Le cœur du festival n’est-il pas également de croiser littératures,
arts et culture populaire ?
C’est une des grandes qualités de
ce festival : tenir un équilibre assez étonnant entre de nombreuses références
et pratiques culturelles. L’âme profonde, première de ce festival, sont la
culture et les pratiques populaires. Mais notre manifestation croise beaucoup
plus que les arts, les littératures et la culture populaire : il permet la
découverte et l’échange des nourritures, des musiques, des langues, des idées.
Ce festival est comme un port de méditerranée. Il est au confluent des
négociations et des économies humaines. Immanquablement, avec les générations,
il ne peut en sortir que des voyageurs d’humanités, des penseurs éclairés, des
fragrances d’une néo-culture, de nouvelles économies solidaires qui habiteront
l’âme de ce pays puisque ce port d’attache est ici.
In Horizon n°122, janvier 2014
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