Mémorandum au formateur du Gouvernement
Faire société ensemble
Dans un pays aussi atypique que
le Luxembourg, dont la population résidente de nationalité étrangère dépasse
les 43%, chiffre qui ne pourra qu’augmenter à l’avenir, le défi majeur est de
construire une société qui tend à réduire les différences entre les citoyens,
une société sans racisme et discrimination, une société, culturellement
métissée, où la reconnaissance des références culturelles de chacun permet un
enrichissement mutuel.
L’évolution des législations,
surtout lorsqu’elle est sujette à débats, est parfois lente. La fin prématurée
de la législature 2009-2013 a laissé en suspens plusieurs réformes
fondamentales pour l’avenir de la société luxembourgeoise, notamment la réforme
des lycées et la réforme de la loi sur l’acquisition de la nationalité
luxembourgeoise.
Nous espérons que, tant au
gouvernement qu’à la Chambre des députés, la nouvelle coalition mettra l’accent
sur les atouts de notre société et non sur les problèmes qui pourraient
éventuellement découler de notre mixité. Tout discours anxiogène et toute
crispation identitaire, que ce soit concernant la langue ou la nationalité
doivent être bannis des discours publics. Un pouvoir politique ouvert ne peut
que générer une société ouverte.
Par le présent, le Comité de
liaison des associations d’étrangers (CLAE) se permet de soumettre aux
différents partis un certain nombre de propositions et de requêtes pour
l’avenir de notre pays.
Propositions pour la prochaine
législature
a) Droits politiques
Dans un souci démocratique, la
nouvelle législature doit favoriser la participation politique des résidents de
nationalité étrangère, et ce à tous les niveaux décisionnels. Le Clae tient à
rappeler que la participation des citoyens de nationalité étrangère aux
élections législatives est inscrite dans le programme électoral des trois
partis de la coalition. Même si le sujet est sensible, nous espérons que cette
volonté ne sera pas reléguée aux oubliettes.
En mai 2013, un projet de loi
portant modification de la loi électorale modifiée du 18 février 2003 a été
déposé, visant notamment à supprimer toute condition de durée de résidence des
électeurs et des candidats ressortissants d’un autre Etat membre de l’Union
européenne dans le cadre des élections du Parlement européen. Le Gouvernement
doit veiller à ce que les nouvelles dispositions de la loi électorale entrent
en vigueur pour les prochaines élections européennes de mai 2014 et ainsi voter
le projet de loi avant le 28 février 2014, date limite des inscriptions sur les
listes électorales. Pour rappel, la date d’expiration du délai de transposition
de la directive 2013/1/UE est le 28 janvier 2014.
D’une manière plus générale, nous
souhaiterions que les voix de l’immigration puissent se faire entendre à
différents niveaux, c’est pourquoi nous suggérons, que toutes les Commissions
Consultatives d’Intégration reflètent la composition de la population de la
commune.
b) Droits sociaux
L’accès au logement reste un
domaine crucial dans la politique luxembourgeoise. Les politiques suivies ces dernières
années nous ont conduit dans une impasse. Une remise à plat de toute la
politiques d’aide au logement et de construction de logement sociaux et de
foyers pour personnes seules s’impose et des décisions courageuses doivent être
prises de concert entre l’Etat et les communes afin de lutter contre la
spéculation, les marchands de sommeil et pour permettre à tous, quelque soient
leurs moyens financiers ou leur situation juridique, d’accéder à un logement
décent.
Le Clae propose que les
demandeurs d’asile déboutés mais bénéficiant d’un statut de tolérance soient automatiquement
régularisés après trois années passées au Luxembourg. Ceci devrait également
valoir pour les demandeurs de protection internationale qui sont toujours en
procédure après ce laps de temps
Nous aimerions également que le
Luxembourg se dote d’une couverture sociale universelle minimale qui
permettrait aux personnes en situation irrégulière d’avoir accès aux soins de
santé. En plus de son aspect humanitaire, une telle disposition serait un
investissement pour la santé publique. Concernant le droit au travail, nous
demandons, surtout en cette période de crise économique, que toute mesure
promouvant l’égalité de droits entre les travailleurs soit favorisée, tant dans
le secteur privé que le secteur public. Le détachement des travailleurs, tel
que préconisé par l’UE, notamment, est source de dumping social et de
précarité. Au niveau public, nous demandons que la qualification prime sur la connaissance
des langues.
Le Luxembourg doit se donner les
moyens de lutter efficacement contre le chômage des jeunes, qui ne cesse
d’augmenter ces dernières années. Les mesures prises ou qui devraient entrer en
vigueur avec l’initiative « garantie jeunes » ne seront pas un remède miracle.
Le Gouvernement doit mettre en place un plan cohérent, ce qui ne pourra se
faire sans une réforme ambitieuse du système scolaire (voir infra).
c) Scolarisation et Formation
professionnelle
Une société socialement juste est
une société qui oeuvre en faveur de l’égalité des chances. Malgré une prise de
conscience de plus en plus grande de la diversité sociale et culturelle des
enfants scolarisés au Luxembourg et malgré des réformes passées et à venir,
force est de constater que le système scolaire luxembourgeois reste très peu
égalitaire face aux différences sociales et culturelles de ses élèves.
Considérant ces inégalités dans
une société qui est de plus en plus celle de la connaissance, nous proposons
que toute attention soit portée sur les réformes scolaires à venir. Nous
rappelons que l’ancienne Ministre de l’Education Nationale a proposé un projet
de réforme des lycées, qui sans être parfait, ne devrait pas être démantelé.
Beaucoup de propositions pour lutter contre l’échec scolaire vont dans le sens
d’une double alphabétisation (en allemand ou en français). Nous nous permettons
d’attirer l’attention sur le risque de ghettoïsation d’une telle mesure, si
elle n’est pas murement réfléchie.
Il semble également primordial pour le Clae que le nouveau gouvernement se penche avec beaucoup de sérieux sur l’insertion professionnelle non seulement des nouveaux immigrés, mais aussi des personnes durablement installées sur le territoire. Nous aimerions que la plupart des formations professionnelles les plus qualifiantes soient proposées en français et en allemand. Nous demandons également qu’un effort soit fait au niveau de la reconnaissance des diplômes des résidents originaires des pays tiers. Dans le sens de ces dernières remarques, nous proposons la création d’un centre d’information pour l’insertion professionnelle, chargé du conseil et du suivi des personnes demandeuses. De même, les procédures de validation des acquis de l’expérience, de la reconnaissance des diplômes et du brevet de maîtrise doivent être réformées et simplifiées.
d) Evaluation des lois relatives
à la libre circulation des personnes et l’immigration, à l’accueil et l’intégration
et à l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise
Les règles relatives à l’accès au
territoire et au travail, à la réunification familiale doivent être simplifiées
et perfectionnées. La politique d’accueil, de soutien, d’information et
d’orientation pour les nouveaux arrivants – sans oublier les personnes déjà
installées – doit être renforcée.
Comme doivent être renforcées les
politiques et les actions qui promeuvent le travail interculturel au sein d’une
société de plus en plus métissée culturellement. Dans ce cadre, les politiques
relatives à l’immigration, l’asile, l’accueil, l’orientation, l’information et
la formation, l’accès au travail, la participation sociale et politique ainsi
que la promotion des relations interculturelles doivent être mieux coordonnées
entre les différents services et administrations. Pourquoi ne pas envisager un
nouveau département ministériel qui englobe toutes ces politiques en son sein ?
Un projet de réforme de la loi
sur l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise a été déposé en avril dernier
et n’a pu être voté en l’état avant les élections. Si nous saluons les avancées
prévues par le projet de loi, notamment l’abaissement de la durée de résidence
pour l’acquisition de la nationalité, la nouvelle coalition peut encore
améliorer ce texte, notamment en ce qui concerne le niveau de maîtrise de la
langue luxembourgeoise. Nous prônons également l’introduction du simple droit
du sol dans la législation luxembourgeoise.
e) Nouvelles immigrations
internes à l’Europe
La crise économique a provoqué de
nouvelles immigrations intra-européennes venues des pays en difficulté. La
réponse à l’accroissement de nouveaux arrivants, qui proviennent notamment du
Portugal, de l’Espagne et d’Italie, vient du mouvement associatif et des
structures consulaires de ces pays sans que les autorités, en invoquant à juste
titre, le droit à la libre circulation dans l'espace UE, promeuvent d’action
spécifique. Le CLAE a entamé des initiatives pour informer les politiques et la
société civile de cette situation ainsi que pour entreprendre une coordination
des actions et réclame des autorités un soutien spécifique aux associations qui
ont créé, par leurs propres moyens, des initiatives d'accueil et d'assistance
pour ces nouvelles immigrations.
f) Le Projet de loi sur les asbl
et les fondations
Le 10 juin 2009 un projet de loi
sur les associations sans but lucratif et les fondations, visant à remplacer la
loi de 1928, avait été déposé. Vivement critiqué à l’époque, ce projet de loi
avait été retiré de la procédure législative. Quatre ans plus tard, aucune
autre proposition de réforme de la loi de 1928 n’a été déposée. Le Clae tient à
faire part au nouveau gouvernement de la nécessité d’une telle réforme.
Vers une Europe plus unie ?
Pour la première fois, en 2014,
le scrutin pour les élections européennes se déroulera indépendamment de celui
des élections législatives. Ce seront également les premières élections du Parlement
depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui lui confère de nouvelles
prérogatives législatives, notamment en matière d’immigration. Il semble particulièrement
important pour le Clae qu’une véritable campagne soit menée au Luxembourg sur
l’importance de ces élections et de leur impact sur la société qui est la
nôtre.
Il est de plus en plus primordial
pour l’Europe d’accélérer le glissement de l’intergouvernemental à la responsabilité
collective. La solidarité entre pays européen est un enjeu crucial autant du
point de vue économique que de celui des politiques migratoires. L’Europe doit
dépasser la « realpolitik » qui domine actuellement dans les états-membres et
qui les pousse à s’enfermer dans des logiques nationales en dépit des
nécessités, voire des réalités. L’Europe sociale est au point mort. Les
questions de justice sociale doivent devenir la priorité d’une Europe où les
inégalités, le chômage ne cessent d’augmenter. Le Clae fera en ce sens des
propositions concrètes lors de la campagne pour les élections européennes.
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