Lëtzebuerger Bicherpräis 2012 au CLAE

Eloge du lauréat
Guy Rewenig, écrivain et directeur des Editions Ultimomondo - photo Michel Dimmer

Le Luxembourg est-il un pays d’accueil ? Mais oui, bien sûr, nous accueillons avec ferveur les cheikhs – ou faut-il dire les chèques ? - du Qatar, nous offrons le tapis rouge aux mafieux de la finance internationale et aux comtesses de Belgique qui miraculeusement se mutent en Luxembourgeoises. Tout ce qui relève du pognon est le bienvenu au Luxembourg. Mais pour le reste, il y a péril en la demeure. Les demandeurs d’asile par exemple, donc ceux qui n’ont ni le fric ni le pouvoir ni le passeport féodal, nous ne les accueillons pas à bras ouverts, nous les dissuadons. Même à coups de massue, suivant l’exploit d’une très chrétienne ministre luxembourgeoise qui a réduit presqu’à néant les allocations accordées à ces étrangers malvenus, pour les convaincre de foutre le camp.
Il y donc étrangers et étrangers. Vous, les étrangers organisés au sein du CLAE, vous appartenez à une catégorie tenace qui se propose de défendre les droits de l’homme au Luxembourg. Vous militez, et c’est déjà suspect. De quoi se mêlent-ils, ces femmes et ces hommes venus de tous les horizons et qui n’ont pas le moindre soupçon de racines luxembourgeoises ? Voilà en bref le ténor des réactions sur Internet, dès que le CLAE communique ses vues et ses revendications. On n’a qu’à lire les commentaires anonymes sur RTL.lu à propos du CLAE pour comprendre que la notion du pays d’accueil ne vaut que pour quelques grosses carrures. Le citoyen étranger n’est pas nécessairement conçu comme un facteur d’enrichissement ou de culture complémentaire.
Ce soir, nous voici réunis en plein centre d’une Ville qui s’est récemment auto-félicitée d’avoir accueilli le 100 000e habitant et d’accéder ainsi au statut officiel d’une grande cité. Les représentants politiques ont oublié de préciser que pratiquement la moitié de ces 100 000 habitants se compose d’étrangers. Et qui dit étrangers, dit : pas de véritable participation politique, pas de pouvoir de décision, influence extrêmement limitée, citoyenneté anéantie pour ainsi dire. En d’autres termes : il y a une moitié des habitants de la Ville qui décide sur le dos de l’autre moitié. Ailleurs, cette pratique s’appelle Apartheid. Ici, elle s’appelle continuité par la grâce de Dieu.
Cependant, face à cette lamentable attitude politique, le CLAE n’a jamais désarmé. Au contraire, vous avez installé une culture du débat démocratique, vous défendez toutes griffes dehors les acquis sociaux et les libertés essentielles, vous développez tout un programme pour stabiliser les droits des citoyens. L’exquise expression de tous ces efforts est chaque année le Festival des Migrations, des Cultures et de la Citoyenneté. C’est une fête de la convivialité, où les termes de frontières ou de nations n’existent pas. Au cœur de cette belle manifestation axée sur l’amitié et la solidarité, qui est aussi un formidable exploit logistique, vous avez enraciné le Salon du Livre et des Cultures. Les livres encadrent littéralement l’ensemble des festivités. Ils sont pour ainsi dire le ferment du Festival. Votre approche de la littérature internationale nous a séduits : elle ne fait pas bande à part, elle n’est pas refoulée dans la zone des strapontins, non, elle est pleinement intégrée et donc visiblement valorisée.
Le Salon du Livre et des Cultures pourrait être un modèle pour les pouvoirs publics au Luxembourg. Mais chez nous, la littérature n’a pas de statut. Vous l’avez vous-mêmes constaté : toutes vos démarches auprès du Ministère de la Culture pour un soutien tant soit peu modeste ont échoué. Les auteurs et les éditeurs luxembourgeois font la même expérience. Dans ce Ministère, il n’y a ni générosité ni curiosité intellectuelle, ni même une quelconque conception ou stratégie de la création littéraire. Et surtout, ces fonctionnaires donnent l’impression de se foutre royalement des livres et des auteurs. La littérature se retrouve ainsi au tout dernier rang de la politique culturelle luxembourgeoise. Elle n’en est pas seulement l’éternel parent pauvre, elle est pratiquement ignorée.
Avec le Salon du Livre et des Cultures, vous avez choisi la voie contraire. Vous rassemblez des écrivains venus de pays où la littérature compte parmi les vivres, donc les moyens de vie et de survie. Pour nous Luxembourgeois, souvent au bord de l’abandon dans un environnement hostile à la littérature, c’est un encouragement et une forte motivation. Les rencontres dans le cadre du Salon nous font entrevoir des énergies créatrices que nous aimerions bien investir dans notre propre travail. Le CLAE, très irréductible et obstiné dans son engagement pour les littératures, a parfaitement mérité notre 3e Lëtzebuerger Bicherpräis. Je vous félicite chaleureusement. Et vive la 13e édition du Salon en 2013!
Juste deux mots encore avant la remise du « trophée » à votre représentant. Cette sculpture en céramique, qui symbolise le Lëtzebuerger Bicherpräis, a été créée par Klaudia Kampa, collaboratrice des éditions ultimomondo. Klaudia est Polonaise, elle a travaillé au Luxembourg, aujourd’hui elle vit en Grande-Bretagne, son métier l’amène régulièrement en Suisse. En voilà un parcours qui plaira sans doute au CLAE, promoteur du nouveau citoyen luxembourgeois culturellement extensible.
Pour finir, j’aimerais dédier une pensée émue à Roger Manderscheid, co-fondateur d’ultimomondo. Ce soir, à la Cinémathèque Municipale, donc à 400 mètres d’ici, Roger, le grand écrivain qui fut un ardent défenseur de la cause littéraire, revivra par le biais de quelques films retraçant sa personnalité. Roger est aussi l’un des pères du Lëtzebuerger Bicherpräis. Je l’imagine très content du lauréat 2012.
Guy Rewenig
7 novembre 2012
 

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