La citoyenneté de résidence
Le concept de
citoyenneté de résidence et plus particulièrement la question du droit de vote
des étrangers chemine de plus en plus dans les méandres de la société
luxembourgeoise en étant notamment mobilisé par un nombre croissant d’acteurs
politiques, économiques et sociaux. Peut-on pour autant pousser un cri de joie
et tourner la page de cet État-Nation qui a façonné pendant plus d’un siècle
notre façon de s’identifier et de définir les autres au prix le plus souvent de
multiples violences symboliques et physiques ?
Limiter le concept de citoyenneté de résidence au seul droit de vote des
étrangers, comme nous avons actuellement tendance à le faire, risque cependant
de nous faire passer à côté d’enjeux tout aussi importants. Cette restriction
nous invite actuellement à plutôt utiliser ce concept comme un ressort pour
surmonter le manque de légitimité qui résulte de la division du droit
électoral. Depuis le début du XXe siècle, l’État luxembourgeois a en
effet construit sa légitimité de la souveraineté populaire en créant par le
même processus une société bicéphale dont les contours se sont définis par
l’appartenance nationale. La législation qui en découle a eu des répercussions
sensibles et aussi évolutives sur l’ensemble des droits civils, politiques et sociaux.
Même si les différences ne sont plus aussi claires qu’auparavant, on lit
cependant encore de manière symptomatique dans la Constitution que Les
Luxembourgeois sont égaux devant la loi. Demeure néanmoins la question de la
société entière qui continue de fonctionner sur un principe d’inégalité.
Mais, en
entendant le bruit des klaxons qui ponctuent cet Euro 2012, on en vient à
penser que l’enjeu autour du concept de citoyenneté de résidence ne se situe
pas seulement en termes d’égalité mais aussi d’identification, notamment à la
société luxembourgeoise. L’histoire nationale de chaque pays agissant comme un véritable vecteur, chacun est tenté en mobilisant
des symboles nationaux, d’exprimer un lien affectif avec son pays ou le pays
d’origine de ses parents. On en voudra pour preuve les multiples drapeaux qui
fleurissent sous les fenêtres ou sont brandis comme des étendards, symboles
d’allégeance à une nation rêvée. Pourquoi un tel atavisme ? Que l’on ne s’y
trompe pas, la référence à un pays ou une nation n’est pas du même ordre. Les
cultures de tout pays ont été traversées et brassées par les influences
socio-économiques et socio-culturelles qui ont déterminé les différents
siècles. Elles se sont élaborées à partir de multiples références, se sont
partagées et échangées dans différents espaces. Les identités nationales se
sont au contraire construites historiquement au XIXe et XXe
siècles autour du nivellement culturel et de l’exclusion de tous ceux qui
n’appartenaient pas à ce corps politique et identitaire. Se définir aujourd’hui
comme Luxembourgeois, Français ou Portugais, c’est effectivement s’inscrire
dans une vision construite d’unicité en actant symboliquement la différence qui
nous sépare de l’altérité. On commence à entrevoir sous cet angle comment le
concept de citoyenneté de résidence pourrait venir contrer toutes ces identifications
excluantes qui influencent de manière significative les relations que nous
construisons et la façon de s’inscrire dans le pays dans lequel nous vivons.
Mais, la mobilisation de ce concept permettrait également de contrer une autre
division tout aussi profonde qui se joue cette fois-ci davantage en terme
sociaux-économiques et qui reproduit de manière encore symptomatique un schéma
de pensée lié à la capacité politique et au système censitaire qui en découle.
Les vieux dinosaures de l’histoire des luttes démocratiques, que l’on croyait
enterrés, ne sont pas encore morts !
Certains argumenteront que le Luxembourg a ces dernières années élargit
les possibilités de naturalisation à travers l’introduction de la loi sur la
double nationalité. L’évolution en restant louable s’inscrit toutefois dans le
paradigme précédent sans véritablement repenser les principes de la
citoyenneté. Les sociétés pourtant se transforment et actent différemment. Nous
pendrons pour preuve les multiples mouvements de contestation dans le monde qui
marquent toujours davantage un rapport individualisé à l’espace public et une
méfiance quasi viscérale aux systèmes politiques en place. Le temps de la souveraineté
et de l’allégeance touche t-il à sa fin ? Il perdurera sans doute encore de
nombreuses années voire des décennies, mais nous risquons en conservant les
mêmes paradigmes de faire de la citoyenneté un porte-manteau sur lequel on
accrocherait toutes les vieilleries du passé. Le concept de citoyenneté de
résidence invite au contraire à penser la citoyenneté moins comme un principe
de souveraineté et davantage comme un principe d’action et d’engagement
affirmant par effet de ricochet la primauté de l’inscription sociale au
détriment de l’allégeance.
Un autre défi
de la citoyenneté de résidence se situerait du côté du métissage des cultures
qui se tissent dans des sociétés marquées par la modernité où des processus de
subjectivisation sont de plus en plus en œuvre. La légitimité notamment
culturelle ne peut plus être uniquement le fruit de l’identique, mais devra
aussi être le résultat de la reconnaissance de l’autre par soi. Cette réalité
oblige à de multiples luttes pour la reconnaissance, mais offre aussi la
formidable chance, une occasion historique, loin des guerres et de
l’exclusivité de la légitimité, de vivre le Luxembourg comme une terre de
métissage, où les Hommes porteurs de plusieurs cultures, pourront en toute
liberté et sans allégeance, choisir, partager, bricoler, tricoter leurs
références communes…
Anita Helpiquet
Paru dans la revue Diwan n°4 (juillet 2012) et Horizon n°114 (septembre 2012)
Paru dans la revue Diwan n°4 (juillet 2012) et Horizon n°114 (septembre 2012)
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