CIAO, BELLA CIAO ?


Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté 

Ciao, Bella ciao ?


Photo Fotini Kaparelou : festival CLAE 2012
Une amie m’a envoyé une belle version de Bella Ciao. Ce chant adoucit un brouhaha de basses critiques (1), des fragrances de pensées insipides que j’entends sur le Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté depuis longtemps. Des doxa sont martelées périodiquement par des apparatchiks associatifs, d’associations proches et lointaines de la nôtre qui ne digèrent pas — comme dirait Nietzsche — la réussite de cette rencontre. On y entend un mépris pour les pratiques culturelles populaires, un déni de compréhension des projets politiques au cœur de cette manifestation culturelle. 
Qui donc a la paternité de ce Festival ? Une lecture rapide de l’histoire pourrait l’attribuer à l’Asti mais un apprenti historien remarquerait vite que les personnes qui ont construit le Festival sont dans leur grande majorité toujours les mêmes qui le réalisent encore. Depuis les premières éditions sous l’égide de l’Asti, élaboré déjà par les personnes et les associations héritières de l’immigration italienne, espagnole, portugaise, elles souhaitèrent s’émanciper d’un certain paternalisme luxembourgeois. Elles faisaient le travail, d’autres faisaient de la représentation « politique » et la gestion financière. Champ de la représentation, espace du discours politique et argent. Voilà une première ligne d’hypothèses de structure de domination à creuser car ces éléments sont les mêmes trente années plus tard. Dire que l’Asti a créé le Festival pourrait être du même ordre que de dire que l’União a créé l’Asti. Des remarques pourraient alors fuser : si une filiation existe entre l’immigration portugaise, les voyages initiatiques au plus près de la Révolution des Œillets, pourquoi aucun acteur, militant associatif permanent, de culture portugaise, n’a-t-il émergé au sein de l’Asti ? Et les questions pourraient suivre sans fin…
Une réflexion très simple  pour clore cette question de paternité associative : qui est le père de ce rejeton de festival, inscrit dans une filiation qui ne dirait pas son nom, qui désobéirait à ces géniteurs ? Les pères qui l’auraient mis au monde ou ceux qui l’ont élevé et fait grandir…?
Une amie m’a envoyé la mélodie de Grândola vila Morena. J’écoutais cette chanson avec des militants politiques portugais de Dreux au début des années 80 quand la Marche pour l’Egalité arrivait à Paris. Faire de la politique alors n’était pas affaire de nature mais de culture. Le festival aurait-il « changé de nature » disent certains ? Serions-nous plus œcuménique car plus culturel et moins revendicatif que par le passé disent d’autres ? Ils aiment nous faire la leçon. Ici et ailleurs, j’ai déjà entendu ces donneurs de leçon, ces apparatchiks avec une dose soutenue de mépris pour la culture populaire, une grande militance pour l’argent chevillé à leur discours, nous expliquer comment faire de la politique ? Auraient-ils une si grande légitimité militante pour s’aligner avec nous tous : ceux et celles qui ont perdu de la famille, fui, combattu le franquisme, qui sont venu O Salto, qui ont vécu les horreurs des guerres coloniales, ceux et celles, militants syndicaux dans leur pays, au Luxembourg qui ont mené des grèves, qui ont traversé mers ou montagnes pour conquérir leur dignité, qui ont vécu les guerres de l’ex-Yougoslavie, qui ont échappé aux dictatures rouges, qui trouvaient les sentiers du continent latino, fréquenté d’abord par des caciques assassins plus assez lumineux, trop léninistes, pas assez marxistes, etc. Faire de la politique serait d’afficher quelques revendications au festival ? Le festival, plus revendicatif avec de petits autocollants ? Ont-ils lu le discours officiel du CLAE, remarqué la qualité politique des rencontres ? Nous revendiquons au festival par des actes posés avec le mouvement associatif. Ils se pensent comme des militants, professent des leçons et font des politiques de la revendication autocollante et du marketing. Ils pensent faire acte de militants, nous préférons l’engagement, ils ont choisi Sartre, nous sommes avec Albert Camus.
Une amie m’a envoyé le chant ¡Ay Carmela!, interprété par les Zebda. Ce chant enracine mes rhizomes sur mes nombreuses terres. Les héritiers de l’immigration sont d’abord des fils du pauvre qui cuisinent sur leur piano à bretelles les senteurs de la culture populaire. Les bruits et les odeurs (2). Cela ne leur rappelle rien. Et nous lisons aussi, à propos du festival, de la part de ces responsables : « se frayer un chemin à travers les odeurs culinaires », « kermesse associative »… Les bruits, les odeurs, les kermesses sont quelques éléments des habitus de la culture populaire et donc de la grande majorité de l’immigration. Cette culture populaire porte des valeurs, des pratiques qui transcendent les problématiques liées aux migrations : cet ensemble d’attitudes, de manière d’être, de convivialité, de rapport au concret, à la matière, est commun à de nombreuses personnes d’où qu’elles viennent et où qu’elles soient nées. Le métissage culturel se structure d’abord dans ce socle commun. Une partie du festival se réalise sur ce terreau. 
Petit refrain : Nous voulons devenir ce que nous sommes, faire société ensemble. Ils donnent des leçons, parlent beaucoup de pognon, font pèlerinage pour de l’argent, accrochés au temporel, au mercantile, foulent aux pieds le spirituel, mais font d’abord du marketing. Ils plaident pour les migrants, les non-Luxembourgeois, les frontaliers, le vivre-ensemble qui sont des notions qui discriminent, qui renvoient à des non-lieux, à des espaces frontières révolus, au déplacement, à des non-identités, qui séparent les personnes et nient l’autre, alors que nous voulons penser les métissages culturels au Luxembourg, les identités de références des familles et des enfants héritiers de l’immigration, les références communes à toute la population, aux voisins des autres régions et que nous voulons Faire société ensemble. Qui est le plus engagé ? Qui fait de la politique ? Quels sont les projets qui font actes de citoyenneté ?
RJP
(1) : « La grande rencontre », article du Woxx publié le 16/03/2012, N° 1154 et « Globalement positif… ou presque », article du Woxx publié le 23/03/2012, N° 1155.
« Maison des associations esteve ausente do congresso do CLAE » Contacto, 23/11/2011.
(2) : « Le bruit et l'odeur » est une expression extraite d'un discours de Jacques Chirac prononcé le 19 juin 1991 à l'occasion d'un dîner-débat du RPR et connue comme Le Discours d'Orléans.

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