Faire société ensemble
Allocution d’ouverture
7e Congrès des associations issues de
l’immigration
12 novembre 2011, Luxembourg
Photos Paulo Lobo |
En juin 1985, sous la
banderole « Ensemble pour l’égalité », le 1er Congrès des
associations des immigrés fondait la plate-forme associative CLAI, le comité de
liaison et d’action des immigrés. Il a été fondé par des structures
associatives, syndicales et politiques de différentes origines culturelles et
avec des aspirations philosophiques très variées que tout semblait diviser à
première vue, si ce n’est que ces organisations, portugaises, italiennes,
espagnoles principalement, étaient réunies autour d’un même engagement et de
même idéaux, ceux de citoyenneté et de justice sociale…
Deux changements de nom et
25 années plus tard, nous nous retrouvons pour le 7e Congrès des
associations issues de l’immigration. On pourrait se demander si, en 2011, un
tel congrès est toujours indispensable. Nous pensons que oui, pour au moins
trois raisons.
Premièrement, malgré de
grandes avancées législatives, surtout ces dernières années, et une égalité
relative de droits pour les citoyens issus des pays membres de l’Union
européenne, ce sont maintenant les citoyens issus des pays tiers qui éprouvent
les difficultés que l’immigration portugaise, italienne,… a connues au siècle
dernier. Or cette immigration devient de plus en plus nombreuse et les
associations nouvellement créées sont le plus souvent originaires de ces
régions du monde.
Ensuite, le fossé entre les
législations et la réalité est parfois grand. Nous prendrons pour seul exemple
la situation des demandeurs de protection internationale. Personne n’ignore
qu’actuellement le Luxembourg fait face à des demandes de protection
internationale beaucoup plus nombreuses que lors des années précédentes.
Personne n’ignore non plus que nos autorités éprouvent beaucoup de difficultés
à gérer cette situation. Si nous pouvons comprendre que les administrations
soient débordées, nous jugeons cependant la situation inadmissible et demandons
que chaque commune s’engage formellement à accueillir en son sein une partie
des demandeurs de protection internationale. Nous demandons également que cesse
tout discours populiste, concernant la mendicité, les vols ou un soi-disant
tourisme de l’asile, entendu malheureusement de la bouche de certains de nos
élus. Quelle que soient les raisons qui ont poussé ces personnes à quitter des
pays jugés sûrs, ils ne l’ont certainement pas fait pour découvrir les beaux
paysages du Luxembourg. Nous dénonçons la suspicion perpétuelle des dirigeants
européens envers ceux qui fuient leur pays, bien que le droit d’asile ait
beaucoup évolué ces dernières années au Luxembourg et en Europe. Nous avons
également une pensée pour ces milliers de personnes qui, depuis quelques années
ont perdu la vie en pleine mer en essayant de rejoindre une Europe considérée
comme un eldorado.
Enfin, l’évolution des
législations, surtout quant elles touchent aux droits des personnes de
nationalité étrangère est souvent lente et sujette à nombreux débat. Je
voudrais rappeler que la double nationalité a figuré parmi les résolutions du
1er congrès du Clae, en 1985. Le 5e congrès, organisé en 2000 a quant à lui
évoqué la question du droit du sol et en 2006, alors que le projet de loi sur
la nationalité venait d’être déposé à la Chambre des députés, nous avons
insisté pour que les personnes résidant au Luxembourg depuis de nombreuses
années soient exemptées des connaissances requises en langue luxembourgeoise
pour accéder à la nationalité du pays. Toutes ces revendications ont été
retranscrites
dans la nouvelle loi sur la
nationalité entrée en vigueur le 1er janvier 2009. Le nombre impressionnant
d’acquisitions de nationalité luxembourgeoise ces trois dernières années montre
que nos propositions n’étaient ni stériles ni irréalistes, mais qu’il faut du
temps, qu’il faut convaincre les responsables politiques afin d’arriver à un
but.
Il serait trop long de
faire aujourd’hui un inventaire des propositions des congrès successif qui se
retrouvent désormais dans l’une ou l’autre disposition législative, mais nous
pouvons être fiers du travail accompli. Cependant, si ces dernières années ont
permis des avancées importantes, cela ne veut pas dire que ces législations ne
puissent pas être amendées et améliorées afin d’arriver à une société où les droits
et devoirs des personnes quelque soient leurs origines ou leur nationalité
soient de plus en plus égaux. Ce sera le rôle de ce 7e congrès
d’avancer de nouvelles idées et propositions en ce sens. Si le Clae a été le
précurseur en matière de double nationalité, gageons qu’il le restera en
revendiquant par exemple la citoyenneté de résidence.
Cette année a été celle de
bouleversements sociaux. Les citoyens de nombreux pays arabes se sont révoltés
contre des régimes dictatoriaux usés par le temps et un ordre international qui
les a trop longtemps méprisés. La contestation sévit également depuis quelques
mois dans nos « démocraties occidentales », grippées, où l’on observe
des divergences croissantes entre Etat et société. De Madrid à New-York, de
nombreux citoyens du monde se sont rassemblés hier sous le slogan
« solidarité, partage, égalité » avec la conviction que l'ordre
politique tel qu'il est constitué ne peut plus faire face aux problèmes sociaux
les plus graves.
Si ces mouvements ne
peuvent être comparables, ils suivent cependant une même logique : la
volonté des peuples d’être dignement traité. Nous nous joignons à ces
revendications pour demander que l’être humain soit à nouveau au cœur des
préoccupations politiques et économiques.
La pauvreté augmente
partout en Europe. Au Luxembourg, la Chambre des salariés a révélé il y a
quelques jours que les salaires élevés augmentaient presque deux fois plus vite
que les petits salaires. Selon les données du Statec analysées par l’OGB-L,
sans les transferts sociaux, près de la moitié de la population du pays vivrait
sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui, le travail ne protège plus de la
pauvreté. Les dumping sociaux et salariaux pratiqués aujourd’hui par les pays
européens ne sont pas la solution pour sortir de la crise économique qui les
touche. Une crise qui provoque de nouvelles migrations internes en
Europe : l’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie, historiquement pays
d’émigration, devenus pays d’immigration, renouent désormais avec leur passé.
Leurs jeunes diplômés fuient aujourd’hui un avenir bouché.
Les discussions de cette
journée et demie de travail vont axer les revendications du Clae pour les
années à venir… Nous devrons tenir compte, dans notre analyse, de l’évolution
de la situation économique et politique non seulement au Luxembourg mais aussi
au sein l’Union européenne.
Nous devrons également
tenir compte de l’évolution de la société et des structures associatives. Le
Clae doit intégrer ces évolutions dans ses structures et dans ses activités,
et, avec l’expérience du passé, avec les valeurs fondatrices de notre
organisation, construire l’avenir et contribuer ainsi l’émergence d’une
nouvelle conscience politique collective.
Parmi les transformations
du mouvement associatif issu de l’immigration, nous pouvons relever le rôle
central qu’il joue aujourd’hui dans la vie culturelle de notre pays. L’offre
culturelle des associations augmente sans cesse, mais malheureusement, sans le
soutien des autorités compétentes et notamment du Ministère de la Culture.
Notre société, culturellement métissée, doit valoriser ces apports culturels.
Aujourd’hui, nous, citoyens
du Luxembourg de nationalité étrangère ou issus de l’immigration, nous
réunissons pour débattre car nous voulons être – nous sommes – acteurs de la
vie politique, sociale, culturelle et politique de notre pays d’adoption. Nous
voulons apporter notre contribution à la construction d’une société qui tend à
réduire les différences entre citoyens, quelle que soient leur origine. Nous
voulons, simplement, Faire société ensemble…
Avant de passer la parole à Franco Barilozzi pour le
rapport d’activité, je tiens à remercier les nombreuses associations qui
soutiennent le Clae, avec lesquelles, nous construisons, année après année, de
grands évènements culturels tels que le Festival des migrations, des cultures
et de la citoyenneté et le Salon du livre et des cultures du Luxembourg, mais
aussi avec lesquelles nous construisons nos idéaux de justice sociale, de
citoyenneté égale et de commune humanité, grâce à des manifestation telles que
ce congrès.
Furio Berardi,
Président
CLAE
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