En quête d'un tissu commun


Depuis le 25 janvier et jusqu’au 31 août 2011, le Comité de liaison des associations d’étrangers (Clae) coordonne un projet intitulé «Couture créative» au foyer pour familles demandeuses de protection internationale de Weilerbach, sous l’égide de l’Office luxembourgeois de l’accueil et l’intégration (Olai) et le Fonds européen d’aide aux réfugiés (FER).
Le projet poursuit plusieurs buts :
- réussir avec peu de notions de base à recycler, transformer, recréer, de nou­veaux vêtements, accessoires et autres, à partir d’habits qu’on ne porte plus et issus de vêtements de seconde main;
- concevoir une collection de vêtements recyclés ;
- plutôt qu’une technique parfaite, le but ultime de la formation est de trans­mettre une vision créative de la confection de vêtements et des possibilités de transformation d’un habit recyclé et l’utilisation des découpes de tissus divers.

Par sa philosophie, le projet s’inscrit dans la notion du développement soute­nable et durable. En effet, récupérer de vieux vêtements pour en créer d’autres équivaut à un double recyclage: celui du matériel et celui de l’énergie employée dans la réalisation du vêtement d’origine. Par ailleurs, cette activité permet de valoriser des connaissances que souvent les femmes possèdent et leur ouvre de nouvelles perspectives de réalisation personnelle et professionnelle. Le sens de la collaboration, l’entraide et le travail en équipe sont favorisés; le projet dépasse l’individualisme et se base sur le sens de l’échange interculturel et des valeurs communautaires.

La formatrice, Eleonora Pasti, nous parle de son expérience.


Combiner la créativité, la couture et la rencontre …


Je travaille beaucoup à partir du re­cyclage. J’aime découvrir et proposer de nouvelles possibilités d’utilisation des objets. D’où mes sculptures en pa­pier mâché, avec du cuivre récupéré de l’atelier de mon père et les tissus et vêtements fabriqués avec de vieux ha­bits. J’ai toujours aimé faire cela. Et je me souviens que, enfant, je jouais à coudre les robes de mes poupées.


À travers le projet «Couture créa­tive», j’essaye d’harmoniser les objec­tifs du Clae et les miens. Les partici­pantes (puisqu’il s’agit exclusivement de femmes, alors qu’au départ l’atelier avait été proposé à toutes les person­nes adultes résidant au foyer) ne tra­vaillent pas, n’ont pas de budget pour s’acheter des vêtements et doivent donc s’habiller avec des habits qui en principe étaient destinés à d’autres femmes. Et c’est pareil pour leurs en­fants. Grâce à cette formation, elles peuvent développer leur créativité et apprendre à coudre. Certaines savaient déjà coudre et ont maintenant la pos­sibilité de s’exercer, retoucher des vê­tements de leur famille, améliorer leurs connaissances, découvrir de nouvelles possibilités. Et, en tout cas, les mar­dis matin sont devenus des moments de convivialité, d’échange, de rires, de partage.


L’accueil a été très positif. Lors du premier contact, j’ai montré quelques créations pour mieux faire comprendre ce que nous pourrions faire dans l’ate­lier proposé. La réaction a été la sur­prise, la curiosité et l’intérêt.
Ensuite, quand l’activité a effecti­vement démarré, j’ai constaté que les participantes ont beaucoup d’imagi­nation et d’envie de créer des choses originales. Au mois de mars, nous avons occupé une partie du stand du Clae, au Festival des migrations. Malgré les difficultés liées au transport (pour se déplacer depuis ou vers Weilerbach, il faut pren­dre des bus qui ne circulent pas très fréquemment et encore moins en fin de semaine), deux participantes sont venues et ont assuré la permanence avec moi. Et nous avons vendu nos pre­mières créations: des sacs et des pan­talons. Nous étions très heureuses du succès!

À propos de l’espace dans lequel se réalise l’atelier …
Au foyer, il n’y a pas de salle conçue pour des formations ou des ateliers. Nous avons débuté notre activité dans une salle qui était sale, mais grande et très lumineuse. Nous avions même en­visagé de la repeindre … Or, suite à de nombreuses arrivées, fin février, cette salle est devenue un dortoir pour hom­mes et nous avons dû la quitter.

La nouvelle de perdre notre premier espace de travail nous a un peu décou­ragées, car nous lui avions transmis de la chaleur et de l’âme. Mais nous de­vions faire avec … Heureusement, ce déménagement a coïncidé avec la fête de Carnaval, le 22 février, qui nous a permis de nous rap­procher davantage des familles, et des enfants en particulier. L’énergie s’est renouvelée. Finalement, nous avons recyclé une petite pièce qui se trouve à l’arrière de la réception, qui est très petite et où nous avons du mal à bouger, avec les quatre machines à coudre, la table à repasser, les chaises … Malheureu­sement, nous n’avons pas d’armoires ou d’étagères pour ranger et la pénurie d’espace ne facilite pas le travail. Mais c’est «notre» atelier et nous nous y sentons bien.
Des aspects qui te gênent ?

C’est surtout la bureaucratie: le contrôle d’identité à chaque arrivée, parfois le besoin de signer à l’entrée et à la sortie, ne pas avoir les clefs … Et aussi la difficulté de communication liée à la langue, car j’aimerais mieux pouvoir expliquer et m’exprimer ou mieux comprendre …

Couture créative et vie …


Cette activité a une importante valeur symbolique: Ensemble nous cousons des morceaux de tissus divers pour fa­briquer ainsi un tissu commun. Nous devons décomposer pour recom­poser. Cela ressemble bien à la vie.


Je suis d’avis qu’il est important de montrer une image des demandeurs d’asile qui aide à les percevoir autre­ment, à combattre les clichés qui pè­sent sur elles et eux, comme s’il s’agis­sait de personnes qui coûtent beau­coup d’argent et qui seraient incapables de faire quelque chose de positif. Si nous réussissions à préparer une collection de vêtements et accessoires, ce serait bien de la présenter dans un lieu adéquat.

Un beau cadeau …

Parmi tous les moments dont je me souviendrai, il y en a un qui m’a par­ticulièrement touchée: une des par­ticipantes, Sana, m’a demandé de lui coudre le voile de la robe de prière. Par ce geste, elle m’a permis de me sen­tir proche de sa culture. Je ne peux pas prétendre de la comprendre, mais nous nous sommes rapprochées. Depuis longtemps je pense aux femmes voilées et je ne savais pas comment étaient cousus les voiles. Désormais je le sais.


Perspectives après la fin de ce projet …


L’expérience de « couture créative » me plaît bien. D’ailleurs, ce projet de­vrait me permettre de réaliser une idée née avant le début de cette formation: créer une collection de vêtements ba­sés sur le recyclage.


Au-delà du 31 août – fin administra­tive du projet – je voudrais continuer, mais ce ne sera pas possible au foyer de Weilerbach. Les femmes qui ont vi­sité le stand pendant le Festival des migrations ont bien apprécié, certaines m’ont dit qu’elles aimeraient qu’une telle activité puisse se développer dans leurs associations. Des femmes qui ha­bitent dans d’autres foyers m’ont dit aussi que ce serait bien pour elles de participer à une activité comme celle-ci … Tous les commentaires étaient vraiment encourageants.


Apprentissages …


Cela m’étonne, que dans pays aussi avancé et civilisé que le Luxembourg, il existe des réalités de vie tellement pénibles, mais, en même temps, le fait de les avoir approché m’aide à mesurer et à évaluer ma propre situation. J’ai appris à être plus tolérante et à réfléchir davantage avant de réagir. J’ai compris qu’il est très facile de tomber dans le racisme et dans les considérations généralisatrices, super­ficielles et stéréotypées sur les person­nes. J’ai compris qu’il peut exister une « guerre entre les pauvres », si des moyens pour favoriser une connaissan­ce et une compréhension mutuelles ne sont pas mis en place. J’ai vérifié que nous agissons d’après ce que l’on attend de nous et la ma­nière dont nous sommes traité-e-s. C’est une expérience de formation très enrichissante, du point de vue humain et interculturel.


Regrets ?

Certaines femmes sont parties dans d’autres foyers ou sont retournées dans leur pays d’origine. Nous avions noué un rapport amical, avions initié en­semble un projet, ce lien a soudain été interrompu et nous n’avons pas eu la possibilité de nous dire au revoir …

Paca Rimbau Hernández
(Interview paru dans
Cid-Info 2/2011 - juin 2011)

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