Le rhizome et la dent-de-lion

A propos du court-métrage Retour de Babel à Shanghai



Il y a peu, dans les années 70 du siècle d’avant, deux philosophes en France, Deleuze et Guattari, qui souhaitaient remettre en question une pensée « racine », une pensée occidentale, hiérarchique, qui s’inscrivait dans la lignée, la filiation, l’ « unique » nous proposaient la notion de rhizome pour s’opposer à des représentations d’unicité de l’Etat, de la Nation, et du fascisme en général et dans le particulier.
Il y a peu de place ici pour raconter combien cette notion empruntée à la botanique fut une dénonciation radicale des pouvoirs et remettait en question des postures dominantes dans plusieurs sciences humaines et certains de ses dérivés aux lendemains qui chantent. Avec le concept de rhizome, ces racines qui n’ont pas de centre, ils mettaient à l’honneur la relation, le lien, l’alliance, l’inter-être.
Il y a peu d’îles de la littérature qui surent plonger dans cette pensée et construire alors une nouvelle approche de l’identité. Les écrivains des Caraïbes avec Edouard Glissant en tête de proue écrivirent alors une nouvelle épopée de l’Autre et du soi qui ne prenait plus sa source dans une pensée de la verticale, dans un terroir qui s’enterre, un enracinement qui fait arbre de généalogie, une nationalité-terre. Comment serait-ce possible d’ailleurs puisque l’histoire qui fait début pour de nombreux habitants de ces îles, sourd des cales des bateaux négriers. Avant ces temps du voyage atlantique qui furent bénis, dans les ventres de bois humides qui retenaient les cris, le passé est ténèbres, convoqués ensuite à l’oubli par les maîtres des plantations. La pensée de la créolité de ces écrivains est mouvement. Elle souligne que les références sont bien plus importantes que les appartenances. Aussi, dans nos pays d’immigration où s’éteignent les feux de la révolution industrielle, ces écrits des archipels nous permettent de sortir de cette religion de la différence qui discrimine, de la gnose du vivre ensemble qui stigmatise et de la doxa de la diversité qui masque les questions sociales.
Il y a beaucoup de pays en Europe qui sont des pays d’immigration. Ils furent d’abord des pays d’émigration et, nombreux, des pays coloniaux. Pour toutes ces personnes venues en migration le passé aussi fait ténèbres et reste encore à fond de cale. Combien de pays enseignent l’histoire de l’immigration ? Combien de pays enseignent qu’ils sont d’abord des pays d ‘émigration ? L’histoire des personnes immigrées, souvent qualifiées de migrants, est toujours enchainée au voyage, au temps du déplacement. Il est difficile de reconnaître l’autre lorsqu’on l’empêche de poser le pied sur le quai et d’être sur un sol.
Il y a beaucoup de mythes, d’épopées qui disent le voyage, le déplacement, la migration. Certains sont fondateurs d’identités fécondent d’autres ont une fonction uniquement grégaire. Le pissenlit, cette dent-de-lion, qui pousse dans nos contrées, est sœur du rhizome. Avec ses aigrettes, elle dit le voyage. Elle raconte la renaissance. En fleur, elle énonce la rondeur du monde : ses aigrettes qui se frottent les unes aux autres, comme le rhizome, nous susurrent l’inter-relation, la connexion, le réseau de communication, l’unique et le multiple à la fois. D’une terre à l’autre le pissenlit est mémoire et références.
Il y a beaucoup de témoignages dans l’exposition et le Livre Retour de Babel réalisé pour l’année culturelle au Luxembourg en 2007.
Il y a peu de portraits dans le court-métrage Retour de Babel à Shanghai.
Toutes ces personnes, une – dix – mille - disent le Luxembourg et disent le pays d’origine, disent le voyage et disent la citoyenneté d’une identité aux multiples références. Pour que l’histoire ne reste pas en cale.

RJP / 5 juillet 2010.


Court-métrage Retour de Babel à Shanghai
Ce court-métrage (15 mn) a été réalisé pour figurer dans le Pavillon du Luxembourg pendant l’Exposition Universelle de Shanghai. Comme il était très difficile de résumer toute l’exposition Retour de Babel dans un projet aussi court, nous avons choisi de nous appuyer sur 8 portraits de l’exposition Retour de Babel.
Pour les personnes qui souhaiteraient l’acquérir, le DVD Retour de Babel à Shanghai — anglais/ chinois — est disponible au CLAE (26, rue de Gasperich, L-1617 Luxembourg tél. 29 86 86-1) au prix de 5 euros (+ 1 euro de frais d’envoi). Pour le commander, il vous suffit d’effectuer un vire- ment sur le compte bancaire de la BCEE de Retour de Babel
asbl, IBAN LU75 0019 2555 0144 9000 avec la mention : DVD Retour de Babel. (Pour les personnes à l’étranger, références utiles : Banque BCCE. Code Bic : BCEELULL)

Informations sur www.clae.lu

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