De l'Humanité et de la responsabilité collective
En l’espace de
quelques semaines, des dizaines de milliers de personnes ont tenté de franchir
la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, le plus souvent à partir des côtes
libyennes. La Libye, devenue un pays de non-droit et de chaos depuis le conflit
qui a conduit au renversement du régime de Mouammar Kadhafi. Nombre d’associations,
de reportages journalistiques, ont dénoncé ces dernières années les conditions
de vie des personnes arrêtées en situation irrégulière, placées en détention
pour une durée arbitraire, dans des centres surpeuplés, victimes trop souvent
de vols, de malnutrition et d’actes de torture. Malgré les risques encourus, de
nombreux réfugiés continuent cependant de passer ces frontières. Beaucoup
fuyant des conflits ou des persécutions en Syrie, au Nigeria, en Irak, en
Erythrée, en Somalie entre autres.
D’autres espérant
trouver de meilleures perspectives économiques, en raison de la relative prospérité
de la Libye, largement tributaire des travailleurs étrangers. C’est le cas
notamment de nombreux ressortissants d’Afrique Subsaharienne. Pour certains, la
Libye est un pays de destination, pour d’autres, minoritaires, un pays de
transit avant de tenter la traversée vers l’Europe. Une traversée entreprise au
risque conscient de mourir, les personnes candidates se voyant le plus souvent
contraintes, en l’absence de voie légales d’immigration, de s’en remettre aux
filières criminelles des trafiquants d’êtres humains.
Les trop nombreux
drames survenus ces dernières semaines au large des côtes européennes peuvent
en partie être expliqués par l’abandon de l’opération Mare
Nostrum – un vaste programme de sauvetage mis en place par l’Italie
après le traumatisme de Lampedusa en octobre 2013 lorsqu’un naufrage avait fait
300 victimes – et son remplacement par une patrouille de surveillance européenne
des frontières, opération dénommée Triton, de bien moindre envergure, financée
par l’Union européenne sous l’égide de l’agence Frontex. Une opération qui n’a
pas pour mission première de sauver des vies mais de contrôler les frontières.
La « surveillance » des frontières extérieures de l’Union, fer de lance de
cette politique européenne répressive en matière d’immigration, coûte chaque
mois plusieurs millions d’euros et a largement prouvé son inefficacité. Prenons
un seul exemple, Eubam Libya, une mission « d’assistance » aux frontières en
Libye qui avait pour double objectif d’aider les autorités à mieux contrôler
leurs frontières pour empêcher les flux migratoires le long des frontières
maritimes et de lutter contre le terrorisme et la criminalité. Débutée en mai
2013 avec un budget annuel de 26 millions d’euros, elle a officié à partir de
la Tunisie (sic) depuis août 2014 avant finalement d’être suspendue début
avril.
Combien de vies
humaines perdues – l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) en dénombre
plus de 1600 depuis le début de l’année – faudra-t-il avant que l’Union Européenne
abandonne sa politique défensive et sécuritaire et se montre solidaire, non
seulement vis-à-vis des réfugiés fuyant des situations de guerre – conflits
dont l’Europe est parfois en partie responsable, mais aussi envers les pays
européens les plus exposés aux arrivées de ces personnes et qui manquent
cruellement de moyens pour les accueillir dignement ? Le Sommet européen
extraordinaire réuni le 23 avril dernier sur la question a accouché d’une
souris et démontre le cynisme des dirigeants européens. L’Union européenne doit
aider à la stabilisation des pays en proie aux conflits, se montrer solidaire
des pays d’arrivée des réfugiés tels que l’Italie et la Grèce et ouvrir des
voies légales d’immigration en instaurant des visas humanitaires, système qui
permettrait également de lutter contre les réseaux criminels. Sécuriser les
frontières – et les externaliser toujours un peu plus - est une réponse coûteuse
qui contrevient aux droits de l’Homme. L’urgence est de sauver des vies
humaines.
A partir du 1er
juillet, le Luxembourg assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Aura-t-il le courage de dénoncer l’immobilisme de l’Union et d’entamer un vaste
débat sur une réforme en profondeur des politiques communes d’immigration et d’asile,
respectant les valeurs fondamentales des droits et de la dignité humains ?
Franco Barilozzi
(Horizon n°129, mai 2015)
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