Expulsion - Lettre ouverte adressée au Ministre Nicolas Schmit

Monsieur le Ministre,
 
Hier après-midi, jeudi 12 juillet, madame Veliqi (25 ans) et sa petite Eunika, née au Luxembourg le 17 janvier 2010 et malade d’épilepsie depuis la naissance viennent d’être expulsées du Luxembourg, avec d’autres demandeurs d’asile déboutés, vers le Kosovo. Le mari et papa, qui est encore au Luxembourg, demandera probablement à rejoindre sa femme et sa fille dès que possible.
 
Monsieur Veliqi, bénévole auprès du Clae pratiquement depuis son arrivée au Luxembourg a, depuis l’arrestation de sa femme et de sa fille lundi soir, décidé de sa ligne de conduite de manière autonome. Cette situation, comme beaucoup d’autres, trop d’autres, nous interpelle profondément alors que nous connaissons très bien cette personne, sa droiture morale et sa volonté de vivre une vie meilleure avec sa famille.
 
Nous nous posons aussi beaucoup de questions :

1) Nous avons écrit de nombreux courriers depuis lundi soir, 9 juillet, sans avoir une quelconque réponse. Bien sûr personne, ni vous, ni vos fonctionnaires, ne sont obligés de nous répondre. Mais vu la situation un peu de compréhension n’aurait pas été de trop...

2) De nombreux témoignages concordants nous disent que l’interpellation de Madame Veliqi n’a pas été des plus « douces ». Certes, elle s’est débattue, elle a fait une crise d’hystérie (aux dires des fonctionnaires), mais le nombre de bleus et d’hématomes qu’elle avait sur tout le corps posent à nouveau la question des méthodes d’interpellation de ces familles qui vivent déjà le stress de ne pas savoir comment sera le lendemain. Est-il vraiment utile d’envoyer une équipe de policiers pour arrêter une maman de 25 ans et sa petite fille de 2 ans et demi ? Une autre manière de procéder n’est vraiment pas envisageable ?


3) La maman a été admise au service psychiatrie de la Zitha le soir même. Toutes les personnes qui sont allées demander de ses nouvelles – même des personnes de sa famille – ont été priées de partir.


4) Est-il normal que la petite fille soit admise à la KannerKlinik vers minuit le lundi soir car personne ne pouvait s’en occuper même si son oncle était venu à la Zitha pour voir comment la maman et la petite fille se portaient ?


5) Est-il normal que le mardi matin à 8 heures et quelques minutes, l’oncle de la petite fille vienne me dire que celle-ci devait prendre des médicaments pour combattre son épilepsie et que je doive téléphoner au service de pédiatrie de la KannerKliniK pour dire au médecin que la petite devrait prendre 9 gouttes de xxxx 3 fois par jours pour éviter les crises d’épilepsie ?


6) Est-il normal que la petite fille – alors que la maman était toujours au service psychiatrie de la Zitha – soit ramenée le mardi matin 10 juillet vers 11 heures au Centre de Rétention toute seule et qu’une autre famille de déboutés avec enfants doive s’en occuper ?


7) Est-il normal que je doive intervenir auprès de Mme Rodesch – la médiatrice pour les droits de l’enfant – pour que la petite fille soit envoyée l’après-midi dans un foyer spécialisé pour enfants seuls ? 

Le mardi soir, après que le médecin de la Zitha ait autorisé la sortie de la maman, elle a été ramenée au Centre de Rétention ainsi que la petite fille. Pour votre information, l’enfant a fait une crise d’épilepsie le mardi soir (ce qui n’est pas surprenant vu les épreuves qu’elle a du passer). 

Nous avons pu, le mercredi 11 juillet, pendant l’heure de midi lui ramener quelques affaires au Centre de Rétention afin que la petite et la maman puissent se changer.

Je dois reconnaître que les quelques personnes que j’ai eues au téléphone du Centre de rétention ont été très gentilles et humaines et je suppose qu’elles ont fait ce qu’elles pouvaient pour que Madame Veliqi et sa petite fille se portent au mieux vu la situation....
 
Le préposé de votre « service retours », m’a appelé jeudi soir (hier soir) vers 18h30 pour m’informer (et pour que j’informe Monsieur Veliqi) qu’il est exclu que ce jeune homme puisse bénéficier d’un retour volontaire. La seule « facilité » que votre ministère lui accorde, est un laisser passer, mais qu’il n’a qu’à s’acheter un billet de bus pour rentrer au Kosovo... Nous espérons toutefois que dans un sursaut d’humanité votre Ministère pourra lui accorder une aide au retour....., à moins que, dans un sursaut d’humanité supplémentaire, vos services ne l’autorisent à rester et à chercher un travail et un logement afin de faire venir sa famille le plus vite possible....
 
Cette malheureuse et triste histoire, comme bien d’autres, pose de nombreuses questions relatives à nos procédures, aux décisions prises par votre service médical, mais pose aussi de nombreuses questions relatives à notre politique d’immigration qui n’est pas seulement luxembourgeoise, mais européenne. 

Qu’avons nous en tant que citoyens, Etat ou Union Européenne à gagner d’une telle politique ? Nous savons tous aujourd’hui que cette politique d’expulsions ne dissuade personne de partir en émigration car depuis la nuits des temps, l’homme a toujours voyagé, émigré pour trouver un territoire que lui permette d’avoir une vie meilleure. Les migrations font partie de l’histoire de l’humanité et de l’histoire du Luxembourg.

Cette politique myope et sans aucune vision d’avenir coûte très cher aux Etats et aux citoyens, enrichit uniquement les trafiquants d’êtres humains, renforce la xénophobie et le racisme, cause de milliers de morts chaque année et au final met également les acteurs sociaux, le monde associatif, les fonctionnaires – vos fonctionnaires – dans des situations difficilement supportables. Nous avons proposé depuis longtemps que le Luxembourg se fasse promoteur d’une autre politique au niveau européen, sans succès. Peut-être qu’il sera possible d’en débattre prochainement.
Avec mes meilleurs sentiments,

Franco Barilozzi
p.o. Furio Berardi, Président du Clae

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