Paulo Lobo, photographe
« Je voulais voir comment progressivement leurs vies prenaient racine dans cette terre luxembourgeoise. »
Paulo Lobo est né au Portugal, à Baixa da Banheira, en 1964. A l’âge de six ans, ses parents émigrent au Luxembourg. Très jeune, il se passionne pour la photographie et se forme à cet art en tant qu’autodidacte. Depuis 2007, il est rédacteur en chef et photographe pour le magazine Wunnen. Il a réalisé plusieurs expositions individuelles et collectives parmi lesquelles : Ó gente da minha Terra (Instituto Camões Luxembourg, 2003) ; Fado, le vertige de l’âme (Centre des arts pluriels, Ettelbruck, 2006) ; Terra de Vida (avec Jérôme Melchior et Didier Sylvestre, Kulturfabrik, Esch/Alzette, 2006) ; Terra de Vida 2 (dans le cadre de l’exposition Retour de Babel, Dudelange, 2007) ; Terra de Vida 3 (Galerie Orion, Troisvierges, 2008) ; Coffee Talks (Instituto Camões Luxembourg, 2010).
Paulo Lobo expose actuellement au Centre de Documentation sur les Migrations Humaines avec une série intitulée La face cachée des mots – Regards d’artistes sur les migrations et la démocratie. Nous avons souhaité profiter de cette nouvelle étape dans son travail pour revenir sur son parcours.
La photographie, une passion qui a commencé dès l’enfance. Comment s’est fait le déclic ?
Paulo Lobo : Tout petit, j’étais fasciné par les images, les films, les séries télévisées, les bandes dessinées… Mon père aimait prendre des photos et surtout filmer au Super 8. Il me laissait utiliser les appareils et les caméras. A l’adolescence, je rêvais de devenir réalisateur, mais la photographie m’est apparue comme un moyen d’expression plus direct et surtout plus individualisé pour le grand timide que j’étais… Très longtemps, j’ai fait des photos en amateur. Je cherchais toujours une certaine vibration artistique tout en apprenant patiemment la technique et la grammaire au moyen d’ouvrages, de magazines, de workshops. J’ai également beaucoup appris au sein du photo-club de Differdange… En tant que photographe « amateur », j’étais à la fois heureux et frustré, heureux parce que dans le mot « amateur », il y a le verbe aimer, et frustré parce que je rêvais de m’exprimer de façon beaucoup plus régulière et intense… Vers la fin des années 1990, en devenant correspondant du journal Contacto, j’ai pu commencer à faire quelques reportages. Mais, c’est en 2001, qu’a eu lieu le grand plongeon, précisément après le 11 septembre. Du jour au lendemain, j’ai quitté le secteur financier pour devenir rédacteur et accessoirement photographe auprès du groupe Polygraphic… Parallèlement à cette activité professionnelle, j’ai continué à élaborer des projets artistiques.
Vous avez consacré plusieurs expositions à la culture, à la communauté portugaise, notamment les premières. Pourquoi ce choix ?
Paulo Lobo : Dans un premier temps, il m’importait de me comprendre en tant que fils d’immigrés, de questionner et de remettre en question un attachement presque viscéral à ma terre natale, le Portugal. Je vivais dans une sorte de fascination pour le Portugal, sa culture, ses paysages, ses gens, son soleil. Mais, à un certain moment, j’ai pris conscience, avec tristesse mais aussi avec un sentiment de libération, du caractère illusoire et chimérique de cette forme de nostalgie. J’ai alors eu envie de porter un regard élargi, panoramique, sur mes compatriotes vivant au Luxembourg. Je voulais mieux les voir, les saisir dans les rues, chez eux, dans les cafés, les fêtes populaires. Je voulais voir comment progressivement leurs vies prenaient racine dans cette terre luxembourgeoise, et comment progressivement s’estompait en eux le rêve d’un retour au pays d’origine. Tout en cherchant les échos de ma propre prise de conscience, je voulais témoigner à la fois de certains cloisonnements communautaires et des interactions toujours plus fortes avec les autres résidents dans le pays.
De la culture portugaise aux cultures du Luxembourg. Quel est le sens de cet itinéraire que vous empruntez ?
Paulo Lobo : C’est dans l’ordre des choses… Une fois passé l’exercice introspectif, une fois rassasié mon désir de mieux connaître mes compatriotes – ce qui a également supposé une réflexion sur les signes ostentatoires et les clichés propres à la communauté portugaise –, j’en suis venu tout naturellement à m’intéresser, artistiquement parlant, aux autres populations établies au Luxembourg. Ceci grâce notamment à l’invitation du CLAE et du CDMH de participer en 2007 au grand projet Retour de Babel. Le modèle culturel du Grand-Duché m'est apparu dans toute sa splendeur et dans toute sa fragilité. Beauté d'une société métissée – je le dis sans nier les nombreux problèmes existants –, mais fragilité d'un pays dont la réussite repose essentiellement sur une prospérité matérielle ininterrompue pendant des décennies...
Vous présentez actuellement au Centre de Documentation sur les Migrations Humaines de Dudelange l’exposition La face cachée des mots – Regards d’artistes sur les migrations et la démocratie. Pouvez- nous présenter le projet ?
Paulo Lobo : L’idée était de faire le portrait d’artistes qui utilisent le mot ou la parole dans leur travail et dont le parcours ou l’expression fait écho aux questions du multiculturalisme et/ou de l’identité communautaire. Le projet s’inscrit dans le contexte d’un colloque international organisé par le CDMH sur les thématiques de la démocratie et des migrations. Les portraits-messages ont tous été réalisés dans un seul lieu, la piscine municipale de Dudelange, désaffectée depuis quelques années et en attente de démolition. Avec les deux commissaires, Christine Muller et Dario Cieol, du CDMH, nous avons invité les artistes à se mettre en scène dans un jeu de construction et déconstruction de slogans et de phrases à tiroirs multiples. Au final, il s’agit de stimuler la réflexion autour du pouvoir manipulateur des discours de tout bord, tout en rappelant haut et fort la nécessité de résister aux extrémismes, à la xénophobie et à la violence.
Propos recueillis par Claudine Scherrer
Publiés dans Horizon n° 113, juillet 2012
Publiés dans Horizon n° 113, juillet 2012
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